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23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 12:19
Lady Godiva, épouse du seigneur de Coventry, dans l’Angleterre de l’an 1000, aurait selon la légende, traversé la place du marché, nue sur un cheval. Spectaculaire parade résultant d’un défi lancé par son mari : il allège l’imposition de la ville à condition qu’elle accepte de chevaucher dans le plus simple appareil. Or, elle relève le gant…
 
Fichier:Lady Godiva by John Collier.jpg
Lady Godiva par John Collier, vers 1898
   
S’abandonnant au destin, à l’accomplissement de sa promesse, la célèbre dame saxonne déambule chastement dévêtue, dans la fraîcheur du matin, sans âme qui vive alentour. Son altière monture trotte d’un pas décidé et affronte l’adversité avec panache.
Telle l’a immortalisée John Collier (1850-1934), portraitiste britannique de talent, sur son tableau peint vers 1898.
De la superbe nudité à la grâce juvénile émane une humilité, une simplicité, accrues par sa désolante solitude. Imperceptibles impressions qui intensifient son innocence et exaltent sa grandeur d’âme, sa noblesse en un véritable hymne à la beauté, de la dame, de son cœur et de son courage.
Pudiquement baissés vers le sol, ses yeux fuient les regards. Regards ou présences, imaginaires ou réels, inévitablement hors-champ, tels les deux chevaliers qui l’auraient accompagnée, sur ordre du seigneur, toujours selon la légende. De même, l’habituelle affluence d’un jour de marché est occultée. Les conteurs rapportent que la population aurait déserté les rues, par respect et en signe de gratitude envers l’aristocrate.
L’omission de ces détails du mythe a probablement un sens. L’œil est focalisé, par l’utilisation du plan serré sur le sujet central : la nudité de Lady Godiva. Son unique parade, l’ample cascade fauve, sa chevelure, que la légende dit encore protégeait des regards, est déployée en arrière-plan, laissant notre regard sur son corps dévêtu libre de toute entrave.
 
La saisissante narration du symbole anglo-saxon proposée John Collier s’inscrit dans la lignée des canons artistiques établis par les Préraphaélistes, confrérie artistique britannique, fondée en 1848, à laquelle on l’associe.
Puisant dans les thèmes bibliques, la littérature ou la poésie, le Moyen Age et ses légendes reste un sujet de prédilection pour les tenants de cette vision novatrice de l’art.
Aux rugueuses et sombres pierres ajustées de la façade exempte de décoration, au dépouillement et à l’épure du décor en arrière-plan, on imagine la rudesse de l’âge médiéval. Seule la douceur marmoréenne, évoquant la clarté matinale, sur la bâtisse de droite, que l’on devine seigneuriale, vient en contrepoint, formalisant ainsi un Moyen Age idéalisé auquel les Préraphaélistes aspiraient.
La flamboyance du caparaçon, richement ornementé de broderies qui drape presqu’entièrement la monture - manière pour l’artiste d’appuyer le contraste avec le corps dévoilé – et le harnachement d’apparat, cordons d’or et rênes ornés d’écussons, le raffinement de la selle incarnent également le décorum de l’époque et le rang de la cavalière.
 
Conforme aux ambitions des fondateurs du mouvement, John Collier propose une vision réaliste de la situation. L’ardente nudité bien qu’édulcorée - les voluptueux contours sont habilement occultés - n’en montre pas moins une peau au bord du frisson tant la carnation paraît réelle. Couleur et lumière s’imbriquent harmonieusement afin de rendre la texture, le velouté, la finesse de grain d’une peau soignée, polie, parfumée sans doute.
Lady Godiva apparaît si humble, si seule, si nue… si morale aussi !
Revenons au point de départ, à légende, à l’enseignement qu’elle transmet, à la morale d’un conte médiéval interprété par un artiste de l’époque victorienne.
Vers la fin du premier millénaire, Léofric, comte de Mercie et seigneur de Coventry, accable d’impôts la population. Sensible à leur souffrance, Godiva, son épouse, implore sans cesse son seigneur d’alléger leur fardeau. Il rit, se moque d’elle puis s’engage à céder en échange d’une promesse : qu’elle chevauche nue à travers le marché de Coventry. Elle s’exécute, l’obligeant à son tour à tenir parole.
La puissante et indépendante aristocrate fait ainsi plier sans violence un homme, un guerrier, son seigneur et maître par un geste simple, se mettre nue. Le sacrifice est beau, le geste noble à l’instar de la dame, restée dans les mémoires comme un symbole de victoire sur le pouvoir égoïste et corrompu.
Produire un art édifiant, s’adressant à l’esprit des hommes mais aussi à leur intelligence, leur mémoire, leur conscience et leur cœur n’est pas la seule aspiration des Préraphaélistes. Frappés par la brutalité de la révolution industrielle, ils entendent aussi en dénoncer les excès et redonner par le biais de leur art un sens moral – érigé en parti-pris artistique - à la société. Or, en mettant intentionnellement le spectateur face à cette femme seule, nue mais courageuse, l’artiste aspire à attirer notre attention sur cette figure de la rébellion contre le pouvoir en place.
La critique sociale constitue un des fondements du regroupement préraphaéliste. Créé après les révolutions européennes, le Printemps des peuples de 1848, il avait à cœur de témoigner des préoccupations de son époque. William Holman Hunt (1827-1910), membre fondateur de la confrérie, évoque ainsi cette volonté : « Comme la plupart des jeunes gens, j'étais bouleversé par l'esprit de liberté des événements révolutionnaires qui se déroulaient alors. En appeler au ciel contre la tyrannie qui s'exerçait sur les gens pauvres et sans défense semblait propre à susciter un traitement pictural. »
Il est certes aisé mais malvenu, pour un esprit du XXIème siècle, d’attribuer à la magistrale lady Godiva de John Collier une visée révolutionnaire à l’instar de Gandhi, prônant la révolution par l’action mais sans usage de la violence. D’ailleurs, la véritable histoire de la noble dame enseigne davantage sa dévotion pour Dieu. Honorée comme fondatrice de monastères, rien dans les écrits ne confirme la réalité de son acte.  Rappelons aussi que l’artiste, membre de la gentry, réalisa des portraits du roi, de membres de sa caste, de lords, de maharadjahs, de scientifiques de renom, entre autres. Son univers, de sa naissance à sa mort, fut celui de la haute société londonienne. Si son portrait de l’aristocrate prend vie presque cinquante ans après la fin de l’association préraphaéliste, il est cependant toujours porteur du souhait de John Everett Millais (1829-1896), autre fondateur de la confrérie artistique « ramener l’esprit des gens à une bonne réflexion » grâce à un art dépouillé de toute idéalisation. La version de John Collier semble s’inscrire dans cet esprit. Au-delà de l’imagerie héroïque véhiculée par la tradition, Lady Godiva, telle que l’artiste l’immortalise,  perpétue l’image intemporelle, douce et féminine, de la victoire des faibles sur l’oppression brutale et aveugle des puissants.
Reste que, de manière presque simultanée, la légende médiévale donna lieu à des interprétations moins subversives.

Fichier:Leighton-Lady Godiva.jpg
Lady Godiva par Edmund Blair Leighton, 1892
 
Un confrère de John Collier, également britannique, Edmund Blair Leighton (1853-1922) perpétue une autre image de la gente dame de Coventry.
Son œuvre, précédant celle de John Collier de quelques années (1892) présente l’aristocrate saisie de vertige, prenant appui sur la table afin de ne pas s’effondrer. Le défi vient d’être relevé et elle prend brutalement conscience de sa portée. Nimbée de lumière, protégeant déjà son corps des regards, elle est laissée seule, face à elle-même, par le seigneur qui la toise avec animosité.

 
Lady Godiva
Lady Godiva par Jules Joseph Lefebvre, vers 1890  (partiel)
 
En France, Jules Joseph Lefebvre (1836-1911) peintre académique et professeur aux Beaux Arts, réputé pour ses nus féminins, livre vers 1890 une version de la légende, imprégnée de douleur et de fantasmagorie. Le calvaire de la nudité est vécu la mort dans l’âme, et la servante qui tient la bride paraît la conduire à l’échafaud. La rue est inquiétante, menaçante, malgré les quelques colombes blanches qui semblent escorter la dame. Les poses sont théâtrales et même le cheval a l’air contrit.
 
Aujourd’hui, la ville de Coventry abrite  au sein du Herbert Art Gallery and Museum l’œuvre de John Collier. Elle perpétue aussi la tradition du cortège de Lady Godiva lors de la foire annuelle, fin mai, sous forme de concours. Seule condition pour les participantes : avoir les cheveux longs et dorés.
Pour conclure, voici quelques œuvres d'artistes contemporains de John Collier, ainsi que celle de Adam van Noort, considérée comme la première oeuvre picturale dédiée à dame Godiva.
 
 
 
Lady Godiva (gravure) par Edward Henry Corbould (1815-1905), peintre, illustrateur, sculpteur britannique.
 
 lady godiva sullivan
Lady Godiva par William Holmes Sullivan, 1877, peintre britannique  (1807-1908).

Lady Godiva par Joseph Henri François Van Lerius (1823-1876), peintre belge.
 
 
Lady Godiva par Alfred Joseph Woolmer (1805-1892), peintre britannique.
 
lady godiva claxton
Lady Godiva par Marshall Claxton, 1850, peintre britannique (1811-1881).
 

La prière de Lady Godiva par Sir Edwin Henry Landseer (1802-1873), peintre britannique animalier.
 

Lady Godiva par George Frederick Watts (1817-1904), peintre britannique.

Goodiva (Lady Godiva) (1586) by Adam van Noort
Lady Godiva par Adam van Noort, 1586, peintre flamand (1562-1641).
 
 

Sources
 
L'art magique
Le Préraphaélisme "Art du XIXème siècle"
Lady Godiva, ces impôts qui déshabillent      
 
 
 
 
 

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commentaires

C
Bonjour lady Godiva<br /> Je vous demande de bien vouloir retirer l'image que vous avez mise sur Internet à la rubrique "correspondant au nom de Colette de Belloy" car cela n'a aucun rapport avec la teneur du livre intitulé "Lilith ou l'un possible".<br /> Je vous remercie<br /> CB
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A
Je suis désolée. Je ne pensais pas à mal...<br /> Pourriez-vous me dire de quel article il s'agit et le passage concerné (en faisant un copier-coller du paragraphe en question si possible).<br /> Dès réception, j'enlèverai le passage.<br /> Mille pardons.<br /> Bien cordialement.<br /> Angela Fernandes

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